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Faut-il couper les arbres brûlés et planter après l’incendie ?

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© Parc national des Calanques
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La Gineste © J. Perrodin

 

Le nettoyage des arbres brûlés après incendie : une fausse bonne idée

La coupe des arbres brûlés sur les terrains incendiés qui a pu être faite dans certains cas les années passées, bien avant la création du Parc national des Calanques, a nécessité des moyens financiers considérables.

Après incendie, il est important de couper rapidement les arbres calcinés aux abords des routes, voies, pistes, sentiers et aires d’accueil pour sécuriser le public.

Par contre, les autres arbres non dangereux pour l’accueil vont rapidement se dégrader et tomber naturellement au sol. Leur dégradation va permettre le retour d’un important cortège d’insectes et de champignons qui favoriseront, en se nourrissant du bois brûlé, la reconstitution de l’humus sur le moyen terme.

Ces arbres, les insectes qui s’en régalent, peuvent être ressentis comme « sales » dans le paysage. Ce n’est certainement pas la vision des petits mammifères et oiseaux qui les utiliseront pour recoloniser la zone et transporter (dans leurs fientes, leur pelages…) des graines qui contribueront au renouvellement de la forêt. Nettoyer, c’est entraver le processus naturel de régénération de la forêt.

 

Historique des plantations : une vision sociétale plus productive

Le territoire du Parc national des Calanques a fait l’objet, de la fin du XIXe siècle à la fin des années 1980, à de grandes campagnes de nettoyage des terrains incendiés et de reboisement par l’administration des Eaux et Forêts, puis par l’Office national des Forêts et les grands propriétaires publics. L’objectif des plantations de cette époque révolue depuis trente ans était principalement la reconstitution d’une forêt méditerranéenne plus productive que de protection écologique.

Début des années 90, les forestiers et les scientifiques ont pu constater que de nombreuses plantations avaient été envahies par de jeunes semis naturels de pins. Ils ont mis en évidence que, lors d’un incendie, les cônes de pins éclatent et libèrent des graines échauffées qui, portées par le vent, réensemencent les zones brûlées dès les premières pluies d’automne.

Les arbres plantés connaissent des taux de mortalité élevés, les essences choisies ne sont pas toujours les mieux adaptées à la zone. Transplanter dans un espace naturel récemment incendié un petit arbre choyé dans une pépinière n’est finalement pas un gage d’avenir pour celui-ci.

Le territoire du Parc national des Calanques, par son relief, son climat, ses usages, la fréquence malheureusement trop élevée des feux de forêt, n’est plus un simple espace de production sylvicole ou de pâturage comme au début du XIXe siècle. C’est désormais un espace de protection de la biodiversité, du paysage et d’accueil du public.

 

Le pin d’Alep dans les Calanques : un arbre autochtone et pionnier

Le territoire du Parc national comprend de très nombreux peuplements forestiers de pins d’Alep. Le pin d’Alep est présent en Provence depuis plusieurs dizaines de milliers d’années : il n’y a pas été planté massivement.

Le pin d’Alep est présent dans les Calanques car c’est une espèce pionnière, à graine légère portée par le vent, qui s’installe le premier après incendie ou abandon agricole. Il protège les sols contre l’érosion puis, grâce à son ombrage, va constituer un environnement favorable à l’arrivée des oiseaux et petits mammifères. Ces derniers vont déplacer les graines lourdes des feuillus environnants pour les semer sous les pins, dans un humus reconstitué, à l’abri de la chaleur et du vent. Après quelques générations, le pin d’Alep sera supplanté par les feuillus, si l’incendie ne repasse pas. En effet, de nombreux feuillus (chêne vert, chêne pubescent...) ont besoin d’ombre et d’un humus développé pour s’implanter, leur plantation après incendie est donc très aléatoire. C’est la dynamique de la forêt méditerranéenne : lorsque rien de vient l’entraver, il faut compter quelques générations.

 

Pollution génétique et durabilité des plantations : avantage aux semis naturels

Pour les plantations, les graines utilisées par les pépiniéristes proviennent de régions souvent différentes de celle du lieu de plantation. Il s’ensuit une pollution génétique qui peut perturber, à moyen ou long terme, les peuplements forestiers indigènes. Par ailleurs, les plants semés en pépinière sont souvent cultivés à renfort d’arrosage, d’engrais et de  produits phytosanitaires. Dans les milieux naturels méditerranéens, les plants connaissent une période d’installation longue et  aléatoire sur le moyen et long terme. Les semis naturels, nés dans des conditions difficiles et dans leur environnement propre, sont beaucoup plus à même de résister aux conditions locales.

 

 

Paysage et plantations : attention à la banalisation

La réalisation de plantations impose des travaux souvent lourds pour décompacter le sol. Dans les années 70-80, plusieurs dizaines de kilomètres de banquettes ont été créées dans les Calanques au bulldozer avec un impact paysager important : il en reste des traces sur la zone incendiée dans la montée du col de la Gineste. Les plantations induisent également une répartition non naturelle des arbres (alignements, homogénéité des tailles, etc.) alors que naturellement les semis s’installent de manière aléatoire, sur plusieurs années et en respectant la diversité des milieux naturels.

Par ailleurs, les paysages des Calanques, contrairement à d’autres grands massifs forestiers, comprennent une importante diversité qui constitue le caractère exceptionnel du cœur de Parc national (pinède, feuillus, falaises, éboulis, pins isolés des falaises, pelouses, etc.). Il est important de conserver cette diversité exceptionnelle et d’éviter une banalisation des paysages par des reboisements généralisés.

 

La recolonisation naturelle dans le Parc national des Calanques : une dynamique de conquête de la biodiversité

Sur le territoire du Parc National, de nombreux incendies ont brûlé la végétation ces dernières décennies, notamment en 1990, 1998, 2009 et 2016 pour les plus importants.

Sur la majeure partie de ces secteurs incendiés, la végétation a repris ses droits naturellement, les zones favorables au pin d’Alep se sont réensemencées naturellement, les autres espaces plus favorables aux feuillus ou à la garrigue se sont également reconstitués.

 

Et les autres espèces qui ont brûlé ? Une réinstallation spontanée

Les incendies détruisent, certes, de nombreux arbres et en particuliers des pins. Toutefois, de très nombreuses autres espèces sont également détruites lors d’un incendie : micro-faune et champignons qui participent activement à la transformation de l’humus, faune de surface qui n’a pu s’échapper : escargots et autres mollusques, petits mammifères, lézards, serpents, fourmis, papillons, sauterelles, criquets, cigales et autres insectes. Ces multiples animaux constituent par ailleurs un élément indispensable de la chaîne alimentaire pour de nombreux oiseaux nicheurs ou migrateurs sans lesquels ils ne peuvent survivre. Ces espèces multiples constituent des habitats naturels complexes qui, avec les paysages dont ils sont à l’origine, font la richesse du Parc national.

C’est l’ensemble de ces espèces, habitats naturels et paysages qui constituent la biodiversité exceptionnelle du Parc national. Cette biodiversité complexe est impossible à réimplanter de la main de l’homme et la plantation de tel ou tel arbre ne saurait remplacer ou reconstituer à elle seule cette biodiversité complexe avec tous les organismes vivants qui la composent.

En revanche, toutes ces espèces disposent d’une capacité de résilience qui leur permet de se réimplanter à court ou plus moyen terme depuis les lisières du feu, si ce dernier ne repasse pas souvent.

La régénération naturelle des espèces animales et végétales commence rapidement après incendie, dès les premières pluies avec la germination de graines de pins et autres espèces végétales voisines du feu à graines légères portées par le vent.

Dès les premiers jours après l’incendie, les fourmis et autres insectes rampants ou volants entament la reconquête du territoire brûlé.

Deux ou trois ans après l’incendie, le paysage reverdit, les feuillus et la garrigue qui disposent de racines profondes rejettent naturellement de souche. Les oiseaux, mulots, lézards, couleuvres, écureuils recolonisent progressivement les sites à partir des milieux naturels voisins ou d’autres contrées pour les migrateurs.

En cinq ans, la garrigue atteint sa taille adulte (50 centimètres à 1 mètre), les pins commencent à en sortir et l’humus commence à se reconstituer avec son cortège d’insectes et champignons.

En vingt ans, la pinède et l’ensemble du cortège animal et végétal initial ont en général repris la forme qu’ils avaient avant le feu.

Par contre il faudra beaucoup plus de temps, plusieurs générations probablement, pour qu’un humus de qualité et un ombrage durable se reconstitue et permettre l’arrivée des feuillus.

Pour parfaitement connaître le processus naturel de reconstitution du site, le Parc National des Calanques mène, dans les mois et années qui suivent les incendies, des observations régulières de la régénération des divers milieux et espèces impactés pour suivre leur installation et leur évolution naturelle.

En cœur du Parc National des Calanques, il n’est donc pas  envisagé après un incendie de procéder à l’abattage des arbres incendiés (sauf au titre de la sécurité), ni à des reboisements par plantation. La voie privilégiée, celle qui est à la fois la plus sûre, la plus écologique, la plus adaptée en matière de biodiversité et la plus économique en milieux méditerranéens est d’accompagner les dynamiques naturelles, tout en veillant localement aux enjeux de sécurité des publics.

Pour les usagers du Parc, la meilleure action pour protéger la forêt et permettre sa reconstitution durable est de ne pas fumer ni de faire de feu.