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Une tribune signée par plusieurs scientifiques pour soutenir les mesures de protection des herbiers de Posidonie

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© Parc national des Calanques
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© F. Launette
La qualité écologique des zones côtières de Méditerranée repose pour beaucoup sur le rôle-clé des herbiers de Posidonie. Ce milieu naturel est soumis à des pressions croissantes, dues notamment au mouillage des navires, qui le dégradent tous les jours un peu plus. Face à l’urgence à agir, le monde scientifique se mobilise aujourd’hui en soutien aux mesures de protection sans précédent initiées ces deniers mois par les autorités maritimes.

Dans une tribune publiée dans différents médias, plusieurs scientifiques de renom invitent ainsi à plus de hauteur de vue pour qualifier les enjeux de préservation, confirment l’importance d’agir dès à présent avec les mesures réglementaires claires qui viennent d’être prises et impliquent chacun dans la sauvegarde de ce Bien commun. Retrouvez ci-dessous l'intégralité de la tribune.

 

« Nous ne pouvons accepter la destruction du bien commun que constituent les herbiers de Posidonie »

Tribune

 

Ces derniers mois, la préservation des herbiers de Posidonie, plante sous-marine méditerranéenne, bénéficie d’une dynamique sans précédent, avec la mise en place de mesures réglementant le mouillage (première cause de dégradation) sur les côtes françaises de Méditerranée. Ce sursaut, longtemps attendu par la communauté scientifique, est indispensable pour sauver une espèce et un habitat protégés, mais dont la disparition se poursuit inexorablement.

Pour nous, acteurs scientifiques observateurs des évolutions écologiques du milieu marin, les mesures de protection récemment adoptées (interdiction du mouillage des bateaux de plus de 24 mètres sur un herbier, mise en place d’équipements pour éviter l’ancrage, protection stricte de sites emblématiques, etc.), qui gagneraient à se diffuser sur tout le pourtour méditerranéen, sont l’occasion d’affirmer à nouveau l’importance majeure des herbiers de Posidonie, tant pour les fonctions qu’ils remplissent que pour les services qu’ils rendent à la collectivité des humains.

Les fonctions écologiques qu’ils remplissent ont été maintes fois démontrées. Les herbiers de Posidonie servent d’abri, de frayère et de nurserie pour les espèces de poissons qui fréquentent nos côtes, des plus « ordinaires » aux plus rares. Ils jouent le même rôle au bénéfice de nombreuses espèces, des échinodermes aux crustacés.

La Posidonie elle-même et les espèces (algues et animaux) fixés sur ses feuilles servent d’aliment aux poissons et aux oursins. La riche faune de petits invertébrés qui vit dans les herbiers est à la base de chaînes alimentaires qui aboutissent entre autres aux espèces ciblées par la pêche artisanale. Les feuilles mortes de Posidonie sont exportées vers tous les écosystèmes littoraux (fonds de sable, de roche, canyons sous-marins, etc.) et y constituent une source de nourriture essentielle.

 

« Puits de carbone »

Bien évidemment toutes les espèces qui naissent et se développent dans les herbiers ne sont pas statiques et vont « ensemencer » d’autres zones, proches ou plus lointaines. La diversité biologique de nos eaux est donc largement redevable aux herbiers de Posidonie, à leur bon état de conservation, à la surface qu’ils couvrent et à la continuité qui les unit. Cette participation à la qualité de la biodiversité est aussi un premier service rendu aux populations humaines, puisque nombre d’espèces inféodées aux herbiers garantissent le maintien de la pêche artisanale et des métiers qui l’accompagnent sur l’ensemble de nos côtes.

Mais la pêche est loin d’être le seul service rendu par les herbiers de Posidonie. Ils sont en effet la principale « usine à sable » où se fabrique, à partir des restes d’organismes calcifiés morts, le sable dont une partie va nourrir les plages. L’herbier amortit la houle et les vagues au-dessus de lui, ce qui contribue à protéger les plages de l’érosion. Les feuilles mortes exportées vers les plages y constituent des « banquettes » qui contribuent également, de manière absolument déterminante, à la lutte contre l’érosion des plages.

Les feuilles mortes entraînées par le vent sont la première source d’azote de la végétation qui édifie et fixe la dune d’arrière-plage. Cette dune est, elle aussi, essentielle au maintien de la plage. Enfin, ces dernières années, les capacités de l’herbier à stocker du carbone ont été révélées. Les scientifiques parlent de véritables « puits de carbone » capables de stocker, à surface égale, trois à cinq fois plus qu’une forêt tropicale.

A l’heure où des voix convergentes s’élèvent pour alerter contre la sixième extinction de masse des espèces et où le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) annonce que l’humanité est à l’aube de retombées cataclysmiques, les herbiers de Posidonie doivent être regardés comme des sanctuaires indispensables.

 

Reconstitution lente, voire impossible

L’urgence est d’autant plus grande que, si les dégâts aux herbiers de Posidonie sont causés rapidement, en quelques « coups » d’ancres ou en raison de quelques opérations d’aménagement ou de réensablement, leur reconstitution est très lente, voire impossible. En outre, la destruction d’un herbier est une « bombe à retardement » : le carbone stocké sous les Posidonie est alors remis en circulation, accélérant l’effet de serre et le réchauffement climatique.

Au cours des dernières semaines, les pressions à l’encontre des nouvelles mesures ont été fortes dans le secteur du yachting qui entend faire reculer les autorités sur des décisions pourtant longuement préparées en concertation avec l’ensemble des acteurs du monde de la mer.

Si nous ne sous-estimons pas les enjeux économiques liés à la présence des grands navires sur nos côtes – dont l’accueil, mieux organisé, reste d’ailleurs possible (et l’est déjà par de trop rares compagnies) –, nous ne pouvons accepter la destruction du bien commun que constituent les herbiers de Posidonie au profit d’une offre de loisirs et de tourisme qui refuserait d’adapter ses pratiques. Nous croyons aux atouts et à la résilience de notre économie littorale pour conserver son attractivité et s’adapter en créant des modèles plus durables.

L’ensemble de la communauté scientifique, consciente et informée des enjeux, salue l’adoption de ces mesures, soutient sans réserve leur mise en œuvre, seule à même de contribuer en urgence à la sauvegarde de cet habitat, à ses fonctions écologiques et aux services qu’il rend à chacun d’entre nous. En gardant le cap sur les mesures de protection, notre littoral adresse un message d’espérance à l’heure où il s’apprête à accueillir le Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille, en septembre.

 

Liste des signataires :

  • Charles-François Boudouresque, professeur émérite à Aix-Marseille-Université, président du conseil scientifique de la réserve naturelle de Scandula
  • Gilles J. Martin, professeur émérite de l’université Côte-d’Azur, groupe de recherche en droit, économie, gestion (Gredeg) CNRS, président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros
  • Thierry Tatoni, professeur à Aix-Marseille-Université, président du conseil scientifique du parc national des Calanques

Cette tribune est soutenue par :

  • Enrique Ballesteros, directeur de recherche au conseil supérieur d’études scientifiques (CSIC) de Blanes, Catalogne
  • Denise Bellan-Santini, directrice de recherche émérite du CNRS, vice-présidente du conseil scientifique régional du patrimoine naturel, expert délégué mer
  • Carlo Nike Bianchi, professeur en biologie marine à l’université de Gênes (Italie)
  • Jacques Blondel, directeur de recherche émérite du CNRS, ancien président de l’Institut français de la biodiversité
  • Fernandino Boero, professeur de zoologie à l’université de Naples (Italie)
  • Gilles Bœuf, professeur de biologie à Sorbonne-Université, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle
  • Michel Prieur, professeur émérite de l’université de Limoges, fondateur de la Société française pour le droit de l’environnement (SFDE), président du centre international de droit comparé de l’environnement, membre de la commission méditerranéenne de développement durable (CMDD)

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