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Sandrine Ruitton – La chercheuse des profondeurs

Chercheuse en océanologie, Sandrine Ruitton a toujours été passionnée par la mer. Elle nous guide à travers ce monde sous-marin qui la fascine. Elle en révèle la beauté mais aussi les fragilités et nous explique comment le préserver.   

Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.

Le littoral marseillais, un environnement remarquable sous pression

Je suis originaire de Lyon, donc forcément, je n'habitais pas au bord de la mer. Il y avait le Rhône… c'est peut-être lui qui m'a conduit jusqu'à la Méditerranée. J'ai toujours été passionnée par le milieu marin. J’ai commencé la plongée à 17 ans puis je me suis engagée dans des études d’océanographie. Désormais, je suis enseignante-chercheuse à l'université d'Aix-Marseille où j'étudie les écosystèmes littoraux méditerranéens. J'ai pu allier ma passion pour la mer et mon métier, et ça, c'est fabuleux. 

Le littoral marseillais subit des impacts très importants liés à l'activité humaine intense. Les causes sont multiples : l'urbanisation du littoral depuis des millénaires, toutes les activités industrielles de l’époque, et certaines activités actuelles comme le trafic maritime et la pêche ou encore l’évolution démographique avec l’augmentation de la population et du tourisme.

Ces activités ont des impacts non-négligeables sur les écosystèmes marins. Or, ce sont des écosystèmes particulièrement riches. Les falaises littorales, qui se prolongent sous l’eau et les îles et leurs pourtours vont créer un relief remarquable. Les paysages qu'on observe hors de l'eau, on les a sous l'eau : des arches, des grottes, des tombants, des éboulis ; c'est vraiment très diversifié et c’est ça la particularité des fonds sous-marins des Calanques.

Et qui dit paysages sous-marins diversifiés dit espèces diversifiées. D’autant plus que c’est une zone riche en nutriments et en matières organiques du fait du contexte biogéographique. On est à proximité du Rhône qui charrie énormément de polluants, mais aussi beaucoup de matières organiques.

De plus, il y a des phénomènes d'upwelling : lorsqu’il y a du mistral, les eaux profondes remontent, et elles sont chargées de nutriments. C’est donc une zone très riche où un tas d'organismes peuvent se développer, notamment des filtreurs comme les gorgones, le corail rouge ou les éponges. Ce sont des organismes fixés ; la nourriture vient directement à eux avec les courants marins. Ce contexte fait qu’il y a une richesse importante et un potentiel énorme. C’est pour ça qu’il est primordial de faire de la restauration et de la gestion dans ces eaux.

Une ressource marine à préserver

Il y a beaucoup de pêche traditionnelle, on parle de pêche aux petits métiers. Cette pêche a la particularité d’être adaptée aux poissons méditerranéens. Elle est sélective, elle cible les espèces commerciales et a donc un impact relativement modéré.

Les pêcheurs, ce sont des gens de la mer, avec une très bonne connaissance empirique du milieu marin. De très bonnes connaissances sur la biologie des espèces, leur répartition... Des fois ils en savent plus que moi sur certaines espèces ! J’adore parler de la mer avec eux parce qu’ils vont raconter leurs histoires, leurs observations. Quand on leur demande des informations, ils aiment aussi beaucoup avoir nos retours sur nos résultats scientifiques. Et ça, c'est important de leur faire remonter l'information. Il y a un vrai échange. J'ai la même préoccupation que les pêcheurs artisanaux : la conservation de la ressource marine. 

Il y a eu des abus dans le passé, bien sûr, avec une pêche intensive sur le littoral. La création du Parc national des Calanques a permis de protéger une partie du littoral et de mieux gérer cette activité, notamment par le biais des zones de non-prélèvement. Dans ces zones où la pêche n’est pas autorisée, les poissons vont pouvoir se multiplier et surtout grossir. Parce que le problème, c'est qu’en-dehors de ces zones, énormément de petits poissons sont pêchés avant d’être matures sexuellement et n’ont donc pas le temps de se reproduire.

Il y a également des espèces comme le Mérou ou la Daurade qui changent de sexe en fonction de leur taille. Il faut donc leur laisser le temps de grossir pour qu’il y ait reproduction.

Dans les zones de non prélèvement du Parc national, en dix ans, on a vu la biomasse de poissons être multipliée par deux ou trois. C'est considérable. Cette mesure a été très efficace pour les Corbs et les Mérous, deux espèces patrimoniales.

Ça démontre qu’avec un petit effort localisé, on arrive à faire de belles choses. La nature est pleine de ressources. Il faut aussi imaginer les conséquences que ça va avoir sur l'activité de pêche : tous ces gros poissons vont pondre, ils vont quitter les réserves parce qu’ils n’en connaissent pas les frontières évidemment et ils vont enrichir toutes les zones voisines. C'est l'effet réserve.