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Julien Ugo – Le botaniste enraciné dans le territoire

Botaniste passionné, Julien Ugo ne se lasse pas d’explorer sa région natale à la rencontre des plantes sauvages qui déploient des trésors d’ingéniosité pour s’épanouir dans ce territoire à priori hostile. Il met un point d'honneur à partager ses connaissances au grand public et à déconstruire de nombreux préjugés.

Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.

Enraciné

Je suis né ici à Marseille, il y a bientôt 40 ans. Mon grand-père paternel habitait Mazargues et on avait l'habitude d'aller pêcher à Sormiou. On partait de la Cayolle à pied avec le sac en toile de jute, on revenait le soir avec les poissons qu'on vidait dans l'évier en céramique de la grand-mère et on faisait la soupe.

C'était une famille de pêcheurs-cueilleurs ; il y avait ce côté on prélève ce dont on a besoin, même si ce n'est pas vraiment des besoins, ça relève plus du plaisir et même du patrimoine culturel, de toujours mettre un brin de thym ou de romarin dans les plats.

Aujourd’hui, je suis botaniste au Conservatoire Botanique National Méditerranéen où mon travail consiste principalement à connaître et conserver les espèces végétales sauvages rares et menacées. Mes deux parents sont des provençaux pur souche et je ne me voyais pas quitter cet environnement sans en avoir fait le tour.

Pousser dans les Calanques, les défis de l’adaptation

Lorsqu’on travaille sur la flore sauvage méditerranéenne, on se rend compte que même une vie, ça ne suffit pas pour comprendre tout ce qui se passe ici, alors qu’on a tendance à penser que c'est tout pelé, qu’il n’y a rien qui pousse.

En fait, il faut savoir que rien que dans le massif des Calanques on a à peu près 900 espèces de plantes différentes, c'est environ le quart de toute la flore de la région PACA, qui elle-même représente 80 à 75 % de la flore de France.

On ne dirait pas comme ça, mais l'aspect aride, pelé des Calanques cache en réalité des trésors que la plupart des gens ne voient pas parce que c'est tout petit. C'est des plantes qui vont pousser entre les cailloux, qui vont faire cinq centimètres de haut, qui ne vont s'exprimer que pendant quelques semaines ou quelques mois de l'année et après disparaître parce qu'il fait trop chaud, trop sec, qu’il y a trop de vent.

J'ai toujours été attiré par les milieux un peu désertiques ; des milieux où il y a de la diversité, mais où on voit justement les efforts que sont obligées de faire les plantes pour arriver à se maintenir. Dans un écosystème forestier, il y a de l’opulence, on sent que le sol est riche et que les plantes en profitent, alors qu’ici, on sent qu'elles sont obligées de lutter pour se maintenir, on peut observer l’adaptation poussée à son extrême. Par exemple, on a une roche calcaire qui est assez sélective, qui peut être contraignante pour beaucoup de plantes, mais qui va au contraire favoriser certaines espèces en particulier.

Préserver la flore authentique des Calanques dans toute sa diversité

On a, juste à côté de nous, un petit coussin d'Astragale de Marseille qui est l'un des emblèmes du Parc. C'est une plante qui a pour habitude de pousser entre le front de mer et la garrigue, dans une bande de végétation qu'on appelle la phrygane.

Cette plante a énormément souffert de nos activités, de la proximité de la ville, du piétinement. C'est une des raisons qui nous a poussé à monter un projet "LIFE", en partenariat avec le Parc, la Ville et le Département, pour essayer de préserver cette plante et son écosystème.

De plus, à peu près 90 % de ses effectifs nationaux sont présents dans le cœur de Parc, ce n'est pas une espèce endémique, mais quasiment. Les activités humaines, avec les routes et les usines, ont morcelé son aire de répartition à tel point qu’aujourd’hui, les populations sont déconnectées les unes des autres, il y a peu d'échanges génétiques. Or, quand il y a peu de brassage, les populations finissent par décliner, un peu comme nous. La consanguinité, ça existe aussi chez les plantes et ça a des effets délétères.

Une espèce comme l'astragale de Marseille, c’est une espèce qui attire énormément d’insectes pollinisateurs et qui va servir de refuge à certains petits reptiles et insectes. On pourrait parler d'espèces clé de voûte : c'est une espèce qui, comme beaucoup d'autres, est nécessaire au maintien de l’écosystème dans lequel elle vit. Si cette espèce disparaît, ça met en danger les autres et au fur et à mesure, on va avoir un effet domino.

Et c'est un peu ce qu'on essaie d'expliquer quand on travaille sur les espèces exotiques envahissantes, comme les agaves ou les griffes de sorcière, qui ont cette capacité de banaliser les paysages. Elles vont dominer à tel point qu’il n’y a plus qu’elles qui vont pousser donc on va assister à un appauvrissement généralisé de l'écosystème, à une perte de biodiversité qui va être synonyme de perte de fonctionnalité.

J'aime bien faire des parallèles avec les sociétés humaines, mais cette diversité, en fait, elle est importante pour pouvoir être moteur de résilience et d'adaptation. Une société cosmopolite culturellement a beaucoup plus de chances de se développer et de se maintenir qu'une société mono-culturelle. Donc on essaye de retirer ces espèces exotiques envahissantes pour permettre à la flore locale de se réexprimer, pour avoir un retour naturel à une végétation spontanée, originelle, authentique des Calanques.

Ça demande un gros travail de communication qui n'était pas du tout mon fort, parce que nous, on est des scientifiques, on n'est pas très à l'aise avec les humains en général. Mais il faut discuter avec les gens sur le terrain, parce que quand on vient modifier un paysage comme ça, on peut facilement être taxés de fascistes verts ; il faut qu'on arrive à expliquer de manière un peu plus humaine et respectueuse à des gens qui vivent-là depuis 80 ans pour certains.